VOYAGE APB EN LITUANIE
du 2 au 13 juillet 2007
par Marie-Odile Tourmen (Cléopâtre)
Telle les trois mousquetaires, je suis la quatrième d’un quatuor de choc dynamique et motivé pour partir vers ce monde balte, si fier de son indépendance retrouvée mais qui n’oublie pas ces cinquante dernières années d’un douloureux enfermement qui l’a tenu éloigné de l’Europe.


Marie-Odile Tourmen (Cléopâtre), Gabrielle Bouvat, Geneviève Petiot, Alix Bres
Une Lituanie toute en nuances, toute en contrastes, m’attendait en ce début juillet: nuances météorologiques d’abord avec lesquelles il a bien fallu composer; nuances dans les amitiés chaleureuses au cours de nos diverses rencontres; nuances de contrées à contrées malgré leur apparente ressemblance... Le premier contraste, j’allais le trouver à Vilnius, grande capitale au charme provincial si l’on s’en tient au centre historique mais que viennent démentir les tentaculaires nouveaux quartiers périphériques. La ville ancienne, c’est d’abord des églises, encore des églises, toujours des églises, toutes plus belles les unes que les autres et qui donnent cette foisonnante vision de clochers si caractéristique à Vilnius dès que le regard prend de la hauteur. Une ville ancienne aux multiples architectures, témoignage d’un tumultueux passé: c’est là que viennent flâner les Vilnois, dans le calme des petites rues pavées, ouvrant par de larges portes cochères sur des cours joliment fleuries. On bavarde sans fin aux terrasses des multiples cafés dont plusieurs, dominant la ville, offrent certains soirs le panorama de somptueux couchers de soleil;
Un café de Vilnius
on aimerait tout acheter, tant dans les boutiques qui proposent des bijoux d'ambre que sur les marchés où l'on trouve sur des étals de délicieux poissons fumés; on peut aussi goûter à la sympathique cuisine nationale (ô les énormes "zeppelins"!) dans de forts pittoresques restaurants. Et bien sûr, comme les Vilnois, le touriste y trouve son compte!

Ancienne et nouvelle Vilnius

Mais le centre bouillonnant de Vilnius, sa véritable vie trépidante et créative, c'est au-delà de la Neiris, dans les quartiers neufs, dans ces buildings à la Manhattan, qu l'on découvre. C'est là que bat le cœur économique et commercial du pays; c'est là que se joue son avenir dans une Europe où il veut avoir sa place et les jeunes générations en sont bien conscientes qui font tout pour le mériter. Kaunas, qui fut pourtant capitale de la Lituanie entre les deux guerres, n'a peut-être pas su profiter de cette situation privilégiée et garde aujourd'hui, malgré une certaine expansion commerciale, un caractère bien conservateur
Toutes ces nuances, tous ces contrastes, j'allais continuer à les vivre au long de notre périple à travers ce que j'ai pu percevoir de ce peuple lituanien qui vit "plein pot" sa modernité récente sans pour autant renier - avec ô combien d'intelligence - son passé, son histoire, ses traditions. En témoignage cette merveilleuse soirée d'une grande célébration de danses traditionnelles (elle a lieu tous les cinq ans) qui réunissait plus de mille participants - enfants, parents et anciens - dans un stade hyper bondé devant un public enthousiaste et fervent. Ce furent quelques heures d'une émouvante beauté...

Jardin d'Orvidas
... Tout comme en pleine campagne de la Zémaitija, (mais hélas sous une pluie diluvienne) l'étrange et fascinant "jardin d'Orvidas". Evangélisés tardivement de gré ou de force, les Lituaniens comme tout autre peuple balte, ont adhéré au christianisme sans renoncer au fil des siècles à leurs croyances anciennes. Ici, en terre lituanienne, contre l'oppression soviétique et malgré elle, quelques artistes inspirés par un mysticisme syncrétique, ont sculpté chacune des pierres d'un immense chaos de blocs granitiques. Quelle vision! Ici se télescopent le religieux et le profane: c'est fort, ça bouscule, ça remet en question... bien des questions! Ce site, encore peu connu même des lituaniens, révèle un sens du sacré, un état d'esprit spécifiquement balte, qui en fait un haut lieu, à l'égal de bien d'autres lieux sacrés à travers le monde. Cet esprit, je le trouvai encore dans ces instants hélas trop courts, passés sur la presqu'île de Neringa.

Le parc des Sorcières à Juodkrante, presqu'île de Neringa

Voici toute l'âme populaire, fantastique et légendaire, dans les sculptures de l'amusante Colline des Sorcières qui fait écho au non moins curieux Musée du Diable à Kaunas. Voici, plus près de nous, les créations lapidaires de jeunes artistes lituaniens sur les quais de Juodkranté.
Et surtout, voici le silence sensible et prenant du cimetière païen de Nida... instants merveilleux! Cette presqu'île est charmante; tous ces villages, posés au bord de la lagune de Courlande, offrent à la fois la vision pimpante de leurs maisons colorées parfaitement restaurées dans l'esprit de la tradition et à la fois la modernité dernier cri des stations balnéaires d'aujourd'hui; peu de voitures, le vélo y est roi.

Nida, prequ'île de Neringa
Il faut souligner que les Baltes - et donc les Lituaniens - depuis la nuit des temps, ont entretenu avec la Nature des relations fortes. Aujourd'hui: respect, protection, mise en valeur des sites sont des impératifs de tout aménagement; chacun à quelque niveau que ce soit en fait sa priorité.
Il suffit pour s'en convaincre de voir Kernavé, berceau de la nation lituanienne, site naturel pratiquement intouché depuis des siècles et aujourd'hui préservé dans son authenticité.
Tout comme à Trakaï, résidence des Grands Ducs de Lituanie au XI ème siècle, où les architectes des Monuments Historiques ont reconstruit à l'identique le château fortifié du Duc Géminidas dans son splendide cadre naturel de collines et de lacs parsemés de multiples îles; c'est magnifique.

Aussi, quel contraste saisissant lorsque l'Histoire vous rattrape avec ce qu'elle a de plus dur, de plus terrifiant. A Kaunas, pénétrer dans le Fort n°9, c'est plonger dans l'horreur d'un camp de concentration et d'extermination qui poursuivit son ignoble besogne de 1940 à 45.
Ici se sont perpétrées les atrocités nazies de la Shoah; ici les chiffres donnent le vertige; ici sont morts 80000 juifs dont 1600 enfants et ce nombre rejoint celui qui fit l'anéantissement de Vilnius, la "Jérusalem du Nord".
Ici encore, les crimes commis par le régime soviétique à l'encontre de la résistance lituanienne... Mais ici, la jeune Lituanie, tournée vers un avenir d'indépendance et de liberté n'oublie pas. Et nous, Français de passage, savions-nous que nombre de nos compatriotes y périrent aussi au nom de cette même liberté?
Cette liberté, malgré les interdictions et les répressions, fut résolument défendue des années durant, en particulier la liberté religieuse chère à une nation catholique particulièrement croyante.
On en sentait toute l'émouvante obstination en abordant, près de Siaulai, cette extraordinaire Colline - oh! , une bien modeste éminence dans un paysage assez neutre - mais que la ferveur religieuse a couvert de croix; des centaines, des milliers, des millions de croix.
Pendant l'époque soviétique, elles furent cassées, arrachées par les soldats; la Colline des Croix fut rasée par leurs bulldozers; mais inlassablement ce peuple revenait les replanter la nuit pour affirmer sa foi opprimée

Siaulai, la Colline des Croix
Aujourd'hui, dans une liberté d'expression retrouvée, ajouter une croix de plus à ces milliers de croix n'a plus la même signification. Cependant, on ne peut rester indifférent à la portée de ce geste qui, émanant de personnes venues du monde entier, s'inscrit en union avec ce lieu devenu emblématique de l'esprit lituanien.

Oui certes, petit pays... mais quelle force, quelle grandeur d'âme, quelle ténacité "jusqu'au boutiste"! Si le nom de Jan Palac se rappelle encore à certains, qui se souvient de Romas Kalenta, jeune étudiant lituanien de 19 ans qui s'immola par le feu en 1972 pour alerter l'Occident de la situation désespérée de son pays sous l'occupation soviétique? Mais l'Occident l'a t-il même su?

J'ai croisé les visages souriants des jeunes d'aujourd'hui; j'ai entendu les cœurs d'enfants sous les porches et les rires des groupes réunis en tablées joyeuses; j'ai vu des vitrines attirantes et des foules se pressant devant les comptoirs des magasins; j'ai longé des chantiers pleins d'une activité débordante, où l'on bâtit, où l'on restaure; j'ai roulé sur des routes où la circulation peut de faire intense, au milieu de quartiers aux architectures hardies où, chaque jour, se créent de nouvelles entreprises.
Oui mais...
Mas il serait hâtif d'en conclure que pour ce pays "tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil" et je ne peux m'empêcher de revoir les silhouettes lourdes et usées de ces femmes âgées qui balaient les rues à cinq heures du matin ou bien vendent sur un coin de trottoir les quelques fleurs de leur jardin; j'ai vu des tags sur les margelles des fontaines, même en plein centre du vieux Vilnius; et à l'hôtel de Kaunas, les poubelles sont cadenacées pour en éviter le pillage; je me souviens des immeubles squattés; des ammoncellements de boîtes de bière dans les bosquets d'un beau parc; de jeunes "artistes" en cheveux rouges et battledress qui traînent au bord de la Vilna en se refilant des joints.

Vilnius, l'église Sainte Anne et l'église des Bernardins
Reconquérir son indépendance, faire partie de l'Union Européenne, vouloir entrer dans la cour des Grands, n'est pas une mince affaire. Et de cet Occident qui les fascine, comment n'en prendre que le meilleur et éviter le pire?

Mais je me souviens aussi de ces amies chaleureuses qui tout au long de nos jours ont tenu à nous faire partager tout l'amour qu'elles portent à leur pays. Elles nous ont parlé avec enthousiasme comme avec lucidité, ne nous cachant pas combien la partie était loin d'être gagnée mais combien ce défi était exaltant et moteur pour les jeunes générations sur qui repose ce pari.

Merci à vous, Ruta, Elvira de Vilnius ou de Kaunas et vous tous, compagnons qui nous avaient donnés de votre temps pour un si bon partage. Qu'on aimerait souhaiter se revoir;votre petit pays, tout en nuances, tout en contrastes, nous laisse un cœur gros comme çà!
Mais serait-ce impossible?

Gabrielle Bouvbat, Elvira Dailydiené, Alix Bres, M.O. Tourmen (Cléopâtre), Geneviève Petiot


Vilnius, désignée "capitale européenne" en 2009, se prépare déjà à accueillir tous ceux qui veulent succomber à son charme.
Alors, pourquoi pas?
Non pas" adieu" mais "à bientôt"
Cléopâtre.
Quelques images encore:







Labyrinthes lacustres de Haute Lituanie
Le château de TRAKAI
Le Neuvième Fort
Dans le vieux Vilnius
une courette intérieure.
Kaunas
Musée des diables
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